Les secondes passaients comme des heures ; longues , épuisantes , lourdes et interminables. De longues secondes à attendre, à regretter, à culpabiliser et se souvenir , à analyser sa vie, à se morfondre dans le malheur le plus profond . Comme si le ici, le malheur avait jeté son cruel voile sur les gens. Mais le pire ce n'était pas ça, ce n'était même pas les pleurs ni les cris désespérés des enfants inconscient, insouciant peut-être ... Le pire c'était cette lueur qui brillait même en plein jour, cette lueur dans les yeux des gens, dans leurs visages, dans leurs expressions, cette lueur qui vous ronge de l'intérieur et qui ne fait pas de quartier, celle qui vous tue à petit feu : l'espoir. L'espoir de sortir, l'espoir de revenir à la maison et reprendre ses habitudes, l'espoir que ce que l'on vit n'est qu'un cauchemar. C'est ca le pire.
Carla ne voulait plus repenser à l'incident de la veille , elle voulait vidé son esprit : " Empty mind" comme dirait les Britishs !
Un jeune homme l'aborda, il devait avoir la vingtaine, il était grand et charmant , il revêtait un joli pull de maille rouge et un pantalon plutôt large bleu marine ainsi que des mocassins de cuir. Il avait de hautes pomettes rosées qui précédaient une multitude de petites taches rousses, au bout de son long nez pâle se présentait des lèvres bien dessinaient, grâcieuses et pulpeuses. A son cou trônait une chaine dorée sur laquelle pendait une étoile de bronze sertie de minuscules saphires. Une mèche de ses cheveux auburn s'était détachait de sa crinière soyeuse et venait caresser le haut de ses tempes.
Il lui inspirait de la sensualité ce gars, son allure, ses gestes, lui ...
- "Enchanté", commença t-il en arborant un sourire d'ivoire, "Guillaume Stozinman..."
Carla se leva rendit la main amicale qu'il lui tendait et se força à sourire.
-" Carla... Carla Laville!"
-" Vous avez laisser votre père", en conclue t-il désolé.
Comprenant qu'elle ne le suivait pas, il donna suite:
-" Là-bas, ils n'ont pris que votre mère qui j'imagine est... juive ."
Elle comprit et s'esclaffa:
- " Ah non ni ma mère, ni mon père sont juifs", et voyant la perpléxité du garçon elle continua, "c'est une longue histoire !"
Il dit ce qu'elle redoutait :
-"Oh vous savez c'est pas le temps qui me manque ici vous savez!"
Il y a à peine quelques jours elle n'aurait jamais étaler ça, ses souffrances intérieures qu'elle laissait enfouies au plus profond de son âme , mais aujourd'hui elles refaisaient surfaces et elle n'avait pas le courage de les empêcher.
-" Le matin ce sont des éclats de voix qui m'ont réveillés, je me suis levé et j'ai vu la police dans la cours alors j'ai compris, ça faisait plusieurs jours que des rumeurs traînaient comme quoi les juifs allaient être arrêtés, c'est tout ce que je savais. Je n'avais pas le courage de voir ça alors j'ai pris mon vélo et je suis partie, j'ai roulé, roulé et puis il m'a fallu revenir. Et puis le policier a appellé une femme et je suis tombé sur elle, tremblante, chancelante, un bébé aux bras. Tu vois il y a une expression qui dit "vert de peur", avant je pensais pas ça possible et cette femme m'a prouvé le contraire, c'est comme si son sang avait viré au vert et donnait à sa peau une teinte verdâtre. Et ce bébé qui dormait, si
serein, si calme, je ne voulais pas que le méchant homme qui se trouvait à quelques mètres de moi trouble son doux sommeil. Alors j'ai pas réfléchi, j'ai merdé, au fait je sais pas, ais-je merdé ? Je sais plus, je veux plus savoir mais j'ai fait ce que j'ai fait et j'éspère ne jamais avoir à le regretter."
Guillaume devait être très intelligent car avec les minces indices que Carla lui avait livré, il semblait avoir compris, il était très embarassé, ne dis mot et fuit.
Le bouillonant volcan qui sommeillé en elle depuis quelques jours, s'était réveillé, encore plus chaud, encore plus furieux, plus fort! Une certaine fureur lui était revenu.
A côté d'elle un vieillard et une dame aux cheveux cendrés discutaient, le vieil homme semblait raconter un periple qu'il avait vécu:
"Les démons blancs de la mer se sont acharnés sur moi" disait-il!
La damme qui n'était pas toute jeune non plus répondit ce que Carla ne voulait pas entendre à ce moment là:
-"Mais si ce sont des démons il ne peuvent pas être blancs, ils sont noirs..."
Carla ne la laissa pas continuer et cracha toute la fureur qui stagnait dans son ventre:
-"Noir? Pourquoi noir? Quelle crétin a décidé un jour que l'enfer et ses habitants étaient noirs et le paradis était tout blanc, hein? Et si l'enfer était rose bonbon... un rose enfantin, un rose barbapapa, le rose des robes de chambre des fillettes? Qui c'est ce con qui a décrété ça ? Un raciste encore, un xénophobe! Comme celui qui va nous faire tous crever ici ! C'est ces préjugés qui vont nous faire capoter !"
Tant de cruauté, tant de fureur, tant de méchanceté mais tant de vérité en une seule tirade! Les deux vieux se turent peut-être par consternation , par fatigue , par désespoir...
Carla s'en alla mais la vieille dame la retint, pressant son poignet entre ses doigts fripés!
-"Ils vont tous nous tuer, hein ?! C'est sa la vérité!"
Carla ne répondit pas.